Vivre ensemble en Méditerranée : l’interculturalité, un outil de dialogue

Le dialogue entre les différentes régions de l'espace euro-méditerranéen a été le thème de la journée « Dialogue interculturel méditerranéen : nous reconnaître dans la culture des autres » coorganisée par Diplocat et l'IEMed

Le Conseil de diplomatie publique de Catalogne (Diplocat) et l'Institut européen de la Méditerranée (IEMed), en collaboration avec le Gouvernement catalan, ont organisé aujourd'hui, mercredi 30 septembre, au palais de Pedralbes de Barcelone, la journée Dialogue interculturel méditerranéen : nous reconnaître dans la culture des autres. La mairie de Barcelone a, elle aussi, pris part à l'organisation de cette journée dont l'objet était de créer un débat et de mettre en valeur le rôle des sociétés et des cultures méditerranéennes face aux grands défis à relever au niveau mondial.

La journée a été inaugurée par différents représentants des organisateurs. Alfonso González Bondia, directeur général aux Affaires européennes et méditerranéennes du Gouvernement catalan a rappelé que, depuis le mois de juillet, plusieurs débats ont été tenus dans le cadre de la commémoration des 25 ans de la Déclaration de Barcelone, soulignant ainsi l'importance que revêtent l'interculturalité et le débat méditerranéen pour Barcelone et pour la Catalogne. Il a aussi expliqué comment, dans l'esprit de l'Agenda 2030 et du dialogue interculturel, les différentes institutions tentent d'installer l'interculturalité dans les politiques euro-méditerranéennes. M. González Bondia a conclu son allocution en rappelant, qu'il y a un an, la Catalogne a créé une nouvelle stratégie interculturelle axée sur l'insertion, le progrès de la société, la valeur du dialogue et les droits au sein d'une société ouverte, engagée et solidaire ; une société devant se projeter en avant dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen pour que les vingt-cinq prochaines années connaissent une évolution rénovatrice, enthousiasmante, transformatrice et qui mette les personnes au centre.

Khalid Ghali, commissaire du Dialogue interculturel et du Pluralisme religieux de la mairie de Barcelone a rappelé la valeur de Barcelone en tant que ville côtière et méditerranéenne ainsi que le rôle qu'elle a joué dans l'Histoire et qui en fait une ville culturellement plurielle. Il a mis l'accent sur l'importance de l'approche interculturelle, dont les valeurs sont une garantie en termes de droits et de libertés, la connaissance et la reconnaissance de ceux-ci étant le fondement du dialogue entre les différents acteurs. Il a aussi souligné combien il est important de vaincre les préjugés issus de la méconnaissance et des stéréotypes existant de part et d'autre et de créer ainsi des espaces de convivialité, aux niveaux local et international, fondés sur l'empathie et le dialogue, des outils essentiels pour pouvoir nous connaître les uns les autres.

Josep Ferré, directeur général de l'IEMed, a rappelé que ce débat est le quatrième organisé à l'occasion de la commémoration des 25 ans de la Déclaration de Barcelone et de la stratégie méditerranéenne. Il a remercié le Diplocat et l'équipe des Quaderns per la Mediterrània pour leur élan et leur travail et a déclaré que cette journée était une bonne occasion de reconnaître l'altruisme des trois administrations qui ont créé l'IEMed, c'est-à-dire, le Gouvernement catalan, la mairie de Barcelone et le ministère des Affaires étrangères du Gouvernement espagnol. Il les a remerciés de leur soutien dans la promotion des principes et des valeurs de la Déclaration de Barcelone. J. Ferré a aussi abordé le sujet de la COVID, dont nous ressentons durement l'impact, tant économique que social. Les inégalités s'accentuant de plus en plus, le risque d'exclusion sociale est de plus en plus élevé. Pour le directeur de l'IEMed, l'interculturalité n'est pas seulement une affaire de dialogue entre les pays, mais aussi de débat au sein de ceux-ci pour le bien de leur cohésion sociale, les sociétés devenant de plus en plus plurielles, complexes, voire contradictoires. M. Ferré a conclu son intervention en disant que ces tendances ne sont pas nouvelles, qu'il faut savoir tirer parti de cette réalité et dépasser des concepts comme la tolérance ou la coexistence pour devenir plus proactifs, découvrir l'autre, accepter la différence et lutter contre les stéréotypes.

Laura Foraster, secrétaire générale de Diplocat, a donné la bienvenue au public et a profité de l'occasion pour expliquer ce qu'est le Diplocat, ce qu'il fait et pourquoi il le fait. Elle a affirmé que des évènements comme ce dialogue témoignent de l'esprit inclusif du Diplocat et que la coopération et la coordination entre les institutions sont, entre autres, des fondements de la diplomatie publique pour l'internationalisation. Un autre pilier de la diplomatie publique est l'écoute de l'opinion publique pour arriver au public cible. L. Foraster a aussi rappelé que la Catalogne entend apporter des solutions aux défis mondiaux et peser dans l'espace international. À propos des accords de Barcelone, elle a rappelé que l'un des axes principaux en était, et est toujours, de rapprocher les deux rives de la Méditerranée.

Andreu Claret, journaliste et directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh de 2008 à 2015, a modéré la première table intitulée « Quel avenir pour le dialogue entre les cultures en Méditerranée ? » à laquelle ont pris part l'écrivain Tahar Ben Jelloun, Nabil Al Sharif, directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh (Alexandrie) et Nayla Tabbara, vice-présidente de l'Adyan Foundation (Beyrouth).

Nabil Al Sharif a, tout d'abord, souligné l'importance du dialogue entre personnes de différentes provenances, géographiques et culturelles. Même si, de nos jours, la perspective est différente, certains problèmes du dialogue interculturel sont les mêmes qu'il y a vingt-cinq ans, a -t-il affirmé. Il pense, en tant que directeur de la Fondation Anna Lindh, que promouvoir le dialogue est, précisément, la mission des peuples et des institutions de la région. Il a aussi parlé de la pandémie et de la façon dont elle a mis en péril toutes les populations de la terre et nos modes d'interaction, nous contraignant à adapter notre façon de penser à une situation qui altère nos modes de vie et n'est pas près de finir. Selon M. Al Sharif, ce sont surtout les femmes, les jeunes et les réfugiés qui accusent le choc de la pandémie en raison des limitations de la mobilité, de la nouvelle crise économique et du fait que ces groupes de populations sont ceux qui ont le plus besoin de développer les connaissances technologiques nécessaires pour faire face au contexte actuel. De même, il faut développer la résilience institutionnelle et organisationnelle pour intégrer toutes les institutions. Selon lui, le débat interculturel signifie sortir de sa zone de confort ; il faut des communautés prêtes à partager leurs expériences et leurs idées, sur un pied d'égalité, aux niveaux mondial et local. Il faut s'entraider, se soutenir. M. Al Sharif a aussi présenté l'expérience de travail de sa fondation auprès de la société civile, car, à son avis, c'est elle qui fera bouger l'interculturalité et les gouvernements devraient en tenir compte dans leurs prises de décision et pour transformer la société. Finalement, il a déclaré que, même si les vingt-cinq dernières années n'ont pas apporté de grands changements, cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas continuer à travailler dans ce but.

Ensuite est venu le tour de Tahar Ben Jelloun d'exposer son point de vue sur l'interculturalité qui, selon lui, est un long parcours semé « d'archipels » de différences, mais aussi de ressemblances. Selon l'écrivain, il faut nous reconnaître et nous accepter d'un point de vue culturel et idéologique. Il s'est déclaré las de l'enlisement des affaires inter-méditerranéennes et a dénoncé la tendance européenne à placer l'économie au-dessus de la vie et de la santé. Il a aussi manifesté sa déception face aux échecs concernant la Syrie et le Liban. Il a mis l'accent sur le fait que ce sont les personnes qui dialoguent, donc que le rôle de la société civile est crucial. En ce qui concerne le rôle des intellectuels dans le débat interméditerranéen, il a affirmé qu'il ne revêt plus autant d'importance que par le passé, notamment dans les années 1990.

Nayla Tabbara a commencé par expliquer que, depuis l'explosion du port de Beyrouth, sa vision a changé et qu'elle envisage l'avenir des relations interméditerranéennes avec plus d'optimisme, la solidarité des pays méditerranéens ayant aidé le Liban à se redresser. Elle a expliqué que sa fondation travaille sur les dynamiques interculturelles, interpolitiques et interpersonnelles et qu'il existe différents discours. On a d'abord commencé à parler du discours interculturel, interméditerranéen et interreligieux avant de passer au discours colonial ou anticolonial. Elle a aussi traité de l'importance de pouvoir parler ouvertement et honnêtement des blessures et de l'Histoire pour construire une base de dialogue. Il faut, en effet, reconnaître et rappeler l'histoire de l'interculturalité, même si elle n'est pas toujours positive. Elle a rejoint Tahar Ben Jelloun à propos de la vacuité du discours des pays du Nord sur les valeurs, compte tenu du fait que l'économie y est prédominante comme en témoigne, par exemple, le traitement des réfugiés. Nayla Tabbara prône également l'idée d'un débat qui devrait avoir lieu au sein des communautés de chaque pays. En effet, comme on l'a vu avec le mouvement Black Lives Matter, il faut faire tomber les masques pour savoir qui nous sommes, pour nous écouter et nous connaître en tant que communauté et pour être en mesure de parler d'interculturalité. Elle a aussi expliqué que la Fondation Anna Lindh accomplit un travail très important pour promouvoir le dialogue interculturel. Elle a mentionné une enquête montrant que 30 % des jeunes du Nord et 40 % des jeunes du Sud de la Méditerranée croient que les membres de confessions autres que la leur ne méritent pas de jouir des mêmes droits. À cet égard, elle a exposé le travail éducatif et de formation réalisé, mais a remis en question son utilité dans une société où les valeurs politiques ne sont pas en phase avec le travail accompli en faveur de l'interculturalité par des fondations comme la sienne. Cela étant, elle considère qu'il faut aller au-delà de l'interculturalité, qu'il est aussi très important de parler de l'interreligiosité et de sensibiliser à ce thème. Elle a souligné, à ce propos, l'importance du fait que le pape François et le grand imam Al-Tayyib aient signé un document acceptant la diversité religieuse et contenant des déclarations telles que celle qui affirme que les croyants de l'autre religion ne vont pas en enfer. Pour Ayla Tabbara, il faut aussi voir et comprendre la pluralité qui existe au sein de l'islam.

Lors de la séance de questions-réponses qui a suivi, les questions ci-après ont été soulevées :

  • l'importance des différences entre les différentes communautés et leur rôleclé dans le cadre du dialogue interméditerranéen ;
  • le regard porté sur l'autre : l'un des plus grands défis est de voir l'autre comme il est réellement, non pas comme nous aimerions qu'il soit ;
  • l'échec des politiques publiques dans le débat interculturel et le rôle du populisme et de l'extrême droite dans le discours actuel de la peur à la différence, le discours inclusif et d'ouverture, qui est un discours rationnel, étant passé à un second plan par rapport au discours identitaire et national ;
  • le rôle de la femme. Nayla Tabbara a fait remarquer que la présence plus ou moins grande des femmes dans le débat interculturel n'est pas une question de genre. Ce sont les valeurs personnelles qui rendent quelqu'un plus ou moins inclusif et empathique.

La deuxième table ronde a traité du thème « Vivre ensemble en Méditerranée : l'interculturalité comme outil » et a présenté les valeurs partagées, fondées sur l'humanisme, qui nous rapprochent et facilitent le dialogue. Oriol Amorós, secrétaire à l'Égalité, aux Migrations et à la Citoyenneté du Gouvernement catalan, a présenté le thème du débat et a posé la même question à tous les participants, à savoir : quelle est l'importance et quelles sont les répercussions de la COVID-19 ?

José Enrique Ruiz Domènec, professeur en sciences de l'Antiquité et du Moyen-Âge de l'UAB (Barcelone), a mis l'accent sur le rôle joué à l'heure actuelle par les historiens, qui cherchent dans le passé des situations semblables à celle que nous vivons dans le but de  nous aider. Il a rappelé trois pandémies et la façon dont elles ont été gérées. Le prof. Ruiz Domènec croit vraiment que nous sommes face à un changement d'ère, mais que l'important est de nous concentrer sur le temps que nous mettrons à gérer la pandémie. Il a fallu trente ans pour contrôler la grippe espagnole et nous ne pouvons pas nous permettre cela. Pour conclure, il a cité une phrase d'un poète grec qui affirme combien il est important de profiter des nouvelles situations qu'apporte la vie. Entre « l'être » et « le faire », le méditerranéen doit choisir « le faire ». « Le faire » doit passer devant « l'être », car il nous permettra d'atteindre l'harmonie dans la diversité.

Mohamed Tozy, directeur de l'École de gouvernance et d'économie de Rabat, s'est connecté en direct du Maroc et a remis en question le rêve de la mondialisation que la pandémie a complètement brisé. Pour M. Tozy, le système des États est devenu obsolète et il faut des individus responsables et dotés du sens de la responsabilité collective. Pour le jour d'après, il propose la « culture du hérisson », où l'essentiel est le clan ou la famille. Quant au dialogue interculturel, il en a traité deux aspects : (1) le point de vue régional, où les solidarités doivent se regrouper, car souvent les États-nations ne laissent pas d'espace à la diversité, ce qui provoquera l'échec du dialogue interculturel et (2) le changement dans la représentation et les valeurs, où il nous faut vaincre les stéréotypes.

Ricard Zapata-Barrero, professeur du département des sciences politiques et sociales de l'UPF (Barcelone), a souligné le fait que la pandémie dévoile les défaillances du système mondial où l'échange entre cultures est maintenant limité. Selon lui, le problème vient du fait que le débat politique méditerranéen est axé sur l'Europe, qu'il y a peu d'informations et qu'elle provient, en majorité des ONG de la région. Finalement, il a souligné la nécessité de mettre en œuvre des politiques à long terme, les seules en mesure de résoudre vraiment les problèmes dans la région, surtout le problème des migrations.

Esmat Elsayed, cofondatrice de Young Mediterranean Voices (Le Caire) a parlé de l'importance des jeunes et considère qu'il faut faire face, en priorité, aux problèmes qui les concernent. Depuis l'apparition de la COVID-19, le problème de l'emploi n'est pas seulement de trouver un travail, mais de le conserver. Esmat Elsayed pense qu'il faut autonomiser tous les jeunes, non seulement les plus privilégiés (ceux qui ont pu accéder à une bonne formation). Elle a aussi expliqué qu'il est important de créer une identité méditerranéenne et de s'opposer aux nationalismes, qui ne font que nous séparer. Cette identité nous permettrait de nous traiter sur un pied d'égalité. Le dialogue méditerranéen ne devrait pas se poser en termes de « donner » et « recevoir » ; il devrait refléter l'ouverture d'une société qui parle à l'autre et où les jeunes partagent des enjeux qui les unissent.

Lors du dernier tour de parole, le prof. Ruiz Domènec a demandé de ne pas céder à la peur et de ne pas répéter les erreurs commises au XXe siècle. Il a conclu en exprimant son espoir de voir la Catalogne piloter le processus de sortie de la pandémie pour en tirer le meilleur parti et se dépasser en tant que société. M. Tozy, quant à lui, a insisté sur l'importance d'abandonner les stéréotypes et les dynamiques historiques, comme la colonisation, afin de de créer ensemble notre avenir, en tant que citoyens méditerranéens. R. Zapata a mis en exergue le rôle des villes, des créatrices de changements, surtout dans le cadre des migrations et du contrôle des frontières. Finalement, Esmat Elsayed a insisté sur l'importance des jeunes. Il a déclaré combien il est important que les institutions les soutiennent à l'aide d'investissements et en finissent avec l'exploitation.

La troisième table, titrée « La pratique du dialogue : témoignages et propositions du tissu associatif méditerranéen », a réuni Driss Khrouz, directeur général de la Fondation Esprit (Fès), Mercedes Giovinazzo, directrice d'Interarts (Barcelone), Mohamed El Amrani, président d'AZAHARA (Gérone) et Anis Boufrika, coordinateur du réseau de la Fondation Anna Lindh (Tunis). Le débat a été modéré par la journaliste Cristina Mas.

Selon Driss Khrouz, la pandémie a montré que le tissu associatif a été la base sur laquelle s'est développé un grand mouvement familial et communautaire dans les villes, les quartiers et les pays. Mais, nous prévient-il, la société civile doit se renforcer parce que la COVID a aussi montré la fragilité du tissu associatif et les inégalités provoquées par les fermetures de frontières qui ont brisé les relations et ont empêché les déplacements. D. Khrouz a rappelé que, de nos jours, le monde est global et que la société civile ne peut rien faire sans le soutien de la politique et des institutions. Quand on lui a demandé si le dialogue interculturel contribuait à la cohésion du réseau, il a déclaré que dix ans en arrière oui. Il voyait alors une nette contribution. De nos jours, par contre, il a des doutes. Il y a dix ans qu'ont été créés la Fondation Anna Lindh et l'IEMed et le dialogue permettait alors les relations entre l'Est et l'Ouest de la Méditerranée. Maintenant, ce sont la numérisation et les nouvelles technologies qui permettent aux jeunes Marocains de communiquer avec les autres jeunes de la Méditerranée et du monde. L'interculturalité, c'est connaître les autres et les voir tels qu'ils sont. C'est ce qui a permis de créer un mouvement associatif et d'apprendre des leçons sur les droits de l'Homme et la démocratie. D. Khrouz a conclu son intervention en défendant la lutte des jeunes et l'importance de les associer au dialogue interculturel, avec l'aide de l'éducation lorsque la politique fait défaut.

Mercedes Giovinazzo a expliqué les valeurs d'Interarts, une organisation fondée sur l'idée que la culture est un élément essentiel du développement humain. Elle a mis en valeur la coopération entre égaux, nécessaire pour atteindre un objectif commun, ainsi que les réseaux, des espaces de dialogue et de création de connaissances. Ensuite, elle a déclaré que la crise actuelle est semblable à une guerre bouleversant le système de gouvernance, le poussant à bout, et qu'elle changera le mode de vie au Nord de la Méditerranée. La crise a mis en péril la participation à la vie culturelle, car il n'est pas suffisant que la culture soit ouverte et numérique, il faut faire en sorte que chacun puisse profiter de la culture dans un endroit et durant un temps défini, éphémère et difficilement reproduisible, qui requiert le contact et le dialogue de l'expérience humaine. L'engagement pour le numérique rend encore plus visibles certaines failles existantes et il faut faire appel à la responsabilité sociale pour les combattre. À la question sur le rôle de la culture dans la création d'une nouvelle mentalité, elle a répondu qu'il n'existe pas de réponse claire compte tenu de la dépendance économique de la culture par rapport au secteur public et le fait qu'actuellement, il faille privilégier la reprise de la vie économique et sociale. Toutefois, elle a souligné que la culture ne peut pas rester à l'arrêt, qu'il faut continuer à travailler pour la création, la réflexion et le dialogue, lesquels permettent aux individus de s'impliquer et de participer à la politique en tant que citoyens critiques, responsables et participatifs.

Mohamed el Amrani a parlé des changements de perception de l'associationisme des jeunes et de ses lacunes durant la pandémie. En ce qui concerne la numérisation, il a mentionné la nécessité de nous former en matière de technologie, mais aussi de connaître nos droits numériques. Il faut améliorer la communication entre le tissu associatif et les autres personnes, car le contact avec elles se révèle souvent difficile, de même que la coopération publique-privée entre les organisations sociales, les administrations publiques et le secteur privé, lesquels empruntent souvent des chemins très différents. À la question concernant sa vision de l'interculturalité en tant qu'enfant des deux rives de la Méditerranée et le rôle des jeunes, il a répondu qu'il faut commencer à voir et à traiter les jeunes comme des sujets politiques qui pensent, agissent et dirigent des initiatives et des mouvements sociaux. De plus, le leadership des jeunes n'est pas, en général, hiérarchique, mais horizontal et en réseau. Quant à l'interculturalité, il considère que c'est un phénomène curieux où il est fait l'amalgame de différentes expériences vitales sous le couvert de concepts tels que l'accueil, l'insertion et la convivialité, qui ne tentent pas de prendre en compte l'identité. L'école tombe trop facilement dans le folklore et les clichés de la diversité. Le président d'AZAHARA dit qu'il faut comprendre et écouter, mais que, tant que l'on n'acceptera pas qu'il existe un racisme larvé en tout lieu et tant que ces jeunes n'auront pas une voix politique et communicative, les choses ne changeront pas. Sa proposition est de ne pas nous contenter de coexister mais de nous efforcer à construire ensemble une société plurielle.

Anis Boufrika a rappelé que, pour la Méditerranée, les crises sont souvent des moments d'ouverture culturelle et sociale, mais qu'en même temps, elles font surgir le meilleur et le pire des personnes, notamment les extrémismes. Les valeurs de la reconnaissance sont nécessaires pour l'essor des civilisations. Des crises naissent des solutions qui aident à survivre et l'évolution naturelle en Méditerranée est culturelle et régionale, menée par les jeunes. En Tunisie, la société civile travaille en parallèle avec les autorités pour aider le système sanitaire et administratif. Les acteurs de ce mouvement sont donc des pionniers, les personnes les plus aptes à contribuer au développement de l'espace euro-méditerranéen malgré les problèmes de mobilité. Il faut une reprise du dialogue interculturel, notamment à l'université, l'une des grandes victimes de la COVID-19. Le numérique est une solution, mais il n'en demeure pas moins qu'il appauvrit les échanges. Sur la question relative à l'héritage du printemps arabe, A. Boufrika a répondu que la dignité retentit, mais qu'elle a pris différentes formes durant les onze dernières années. La révolution luttait pour la dignité, mais aussi contre la guerre, la famine et la marginalisation. Cela étant, les crises, la guerre et de nombreuses politiques freinent l'interculturalité et favorisent la négation de l'autre. C'est pour cette raison qu'il faut soutenir les jeunes et les femmes, qui continuent à lutter pour leur émancipation. Actuellement, la société tunisienne s'ouvre aux nouvelles technologies et les associations doivent évoluer vers une logique numérique, avec des outils avancés à même d'attirer les jeunes. Les valeurs de reconnaissance, de dignité et de pluralité permettent d'arriver à des accords et à encourager l'interculturalité. Lorsque les femmes agissent en tant que leaders et prennent l'initiative, la barbarie et l'extrémisme diminuent. Anis Boufrika croit que les jeunes Tunisiens sont débordants d'enthousiasme et qu'ils vivent l'interculturalité d'une façon nouvelle. En ce qui concerne l'identité, il a souligné le fait qu'en Méditerranée, il n'existe pas une unique identité, mais des identités, et que l'on ne peut pas parler du Sud comme d'un tout homogène, ce que fait souvent le Nord, à son avis.

Après ces interventions, une séance de questions-réponses a été lancée au cours de laquelle on a parlé de quels sont les mécanismes les plus efficaces pour changer les mentalités. Les réseaux sociaux, les politiques publiques, la culture, l'échange entre experts et la nécessité d'arriver à tous ont été, entre autres, des réponses à cette question. Certains ont alerté du danger que représente la chambre d'écho (médiatique), ce phénomène par lequel, dans notre vie quotidienne, nous nous entourons uniquement de personnes semblables à nous.

À la fin de la table ronde, le directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh, Nabil Al Sharif, a pris la parole pour présenter le Marathon virtuel pour le Dialogue de son organisation. Il a expliqué qu'il s'agit de leur contribution aux célébrations des 25 ans du Processus de Barcelone et qu'ils entendent ainsi donner la parole aux différentes associations culturelles et solidaires de la Méditerranée. La fondation souhaite laisser s'exprimer les jeunes, les médias, les experts et les institutions dont l'intention est de montrer l'importance du débat et de la coopération en Euro-Méditerranée pour la durabilité de la région et pour rendre visible le travail qui y est accompli. Nabil Al Sharif a informé que le marathon est lié à une campagne dans les médias et que, de même, des séminaires, des ateliers et des débats seront tenus en coopération avec des membres et des collaborateurs.

La journaliste Cristina Mas a parlé de l'importance des médias, qui ne sont pas toujours visibles, mais dont le pouvoir est plus important qu'il n'y paraît parce qu'ils ont la possibilité de nous rapprocher ou de nous éloigner. De même, elle a clairement montré que les deux rives de la Méditerranée connaissent souvent les mêmes problèmes et se posent les mêmes questions. Pour sa part, Hajar El Hawari a insisté sur le thème de l'insertion des femmes, qui doivent être traitées comme sujets et non pas comme objets d'insertion afin de pouvoir prendre une part active aux projets de travail et aux organisations, ceci pour la création de sociétés plus collaboratives. Elle a aussi fait référence aux jeunes et à la nécessité de les former dans la diversité et la différence, pour une société future adulte, diversifiée et plurielle.

La clôture de la journée a été confiée à M. Bernat Solé, ministre de l'Action extérieure, des Relations institutionnelles et de la Transparence du Gouvernement catalan, qui a parlé du rôle de la Catalogne dans le dialogue interculturel de la Méditerranée. Il a remercié les conférenciers pour leurs contributions et parce qu'ils nous indiquent le chemin que nous voulons suivre et la façon dont nous voulons le faire. Il a manifesté sa volonté de reconstruire en plaçant les personnes au cœur des politiques. Il a aussi exposé la nécessité de créer des espaces de dialogue pour l'interculturalité et de travailler pour que la frontière qui divise les deux rives ne soit pas une frontière de la mort. M. Solé croit que l'on ne doit pas détourner le regard lorsque des gens arrivent dans notre pays et il a réaffirmé la volonté de la Catalogne de prendre une part active à la question migratoire. Il s'est félicité du fait que la Catalogne ait été invitée à occuper une place centrale et de dynamisation du dialogue interculturel et il a fait référence à la nécessité de travailler sur le concept de citoyenneté méditerranéenne, de créer un nouveau regard sur le vivre ensemble et de renforcer l'agenda culturel contre le racisme, la xénophobie et l'extrémisme violent. Le ministre a terminé son allocution en soulignant combien il est nécessaire que la Méditerranée soit intégratrice, qu'elle dispose d'une gouvernance souple et agile où l'échange soit enrichissant et les sociétés des garantes de la paix.

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